La publicité et le marketing n’ont cessé de se réinventer au fil de l’histoire, dans le but de gagner constamment en efficacité. Avec l’essor des réseaux sociaux, une nouvelle catégorie de « vecteurs » des messages publicitaires est apparue : les influenceurs et influenceuses. Si le terme faisait encore sourire il y a quelques temps, force est de constater que ce phénomène a pris une importance économique considérable. Des stars mondiales comme Cristiano Ronaldo ou Ariana Grande empochent aujourd’hui plusieurs centaines de milliers de dollars pour une seule publication vantant une marque ou un produit. Mais cela ne concerne pas que les célébrités. Des entreprises s’intéressent aussi de plus en plus à celles et ceux qu’on appelle « micro-influenceurs » et même « nano-influenceurs », c’est-à-dire des personnes comptant relativement peu d’abonné·e·s, mais qui entretiennent des liens plus étroits avec leur audience – ce qui augmente les chances d’influencer les actes d’achat. C’est ainsi que vous verrez un jour cette instagrammeuse de la ville voisine, que vous suivez pour ses magnifiques photos de paysages, dire dans l’une de ses publications tout le bien qu’elle pense de ses nouvelles chaussures de randonnée…
Entre l’influenceuse et l’entreprise, il y a un contrat. L’influenceuse s’engage à promouvoir des biens ou services par le biais d’images, de vidéos et/ou de textes publiés sur un réseau social, en échange d’une contrepartie du prestataire concerné. S’agissant de cette contrepartie, différents modèles existent : les parties peuvent convenir d’une rémunération fixe en espèces, d’une commission sur les ventes réalisées au moyen d’un « code promo » partagé par l’influenceuse ou encore de prestations en nature (des chaussures, une nuit d’hôtel, etc.). Mais comment appréhender ce contrat en droit suisse ? Si la liberté contractuelle prévaut en principe, l’enjeu est de savoir s’il y a éventuellement des normes impératives qui pourraient s’appliquer d’office et surtout, sur quelles dispositions légales se basera le tribunal en cas de litige sur un point qui n’est pas (ou mal) réglé par le contrat.
L’existence d’un contrat de travail (art. 319-342 CO) peut assez rapidement être exclue. En effet, l’influenceuse ne se trouve pas dans un rapport de subordination et de dépendance économique comparable à celui qu’elle aurait vis-à-vis d’un employeur. Il faut en revanche envisager le contrat d’entreprise (art. 363-379 CO), le contrat de mandat (art. 394-406 CO) ou un contrat innommé (c’est-à-dire admettre qu’il s’agit d’un contrat trop particulier pour être rattaché à l’un des modèles prévus par la loi). Si c’est le contrat innommé qui est retenu, le tribunal pourra néanmoins s’inspirer des règles du contrat nommé qui lui semble le plus pertinent. Dans tous les cas, l’autonomie laissée aux parties est très grande.
La clé de la distinction entre les deux premiers contrats précités réside dans la question de savoir si l’influenceuse s’engage à fournir un résultat déterminé (entreprise), soit un « ouvrage » selon les termes de l’article 363 CO qui s’interprète dans un sens très large pouvant englober des prestations immatérielles (cf. ATF 130 III 458 consid. 4), ou si elle s’oblige seulement à déployer une activité diligente en faveur de l’autre partie sans offrir de garantie particulière (mandat). À la lumière de ce critère, l’activité de l’influenceuse semble être plus proche de celle d’une entrepreneuse que d’une mandataire. Elle aura généralement promis d’effectuer un certain nombre de publications selon des directives du prestataire avec lequel elle a contracté, directives dont le respect peut être vérifié de manière objective. Toutefois, il n’est pas exclu que certains contrats laissent une importante liberté à l’influenceuse quant à la forme, au contenu et à la fréquence des publications. Dans un tel cas, la qualification de contrat de mandat serait à privilégier, mais cela semble plutôt être l’exception.
Quand on sait que l’exemple-type de contrat d’entreprise est le contrat de construction, le rapprochement avec les influenceuses peut surprendre. Il est clair que certaines dispositions légales seront inapplicables. Cependant, on trouve aussi plusieurs articles apportant des réponses pertinentes à des questions qui pourraient se poser en présence d’un contrat lacunaire. Ainsi, l’influenceuse est en principe tenue de se procurer à ses frais le matériel technique nécessaire (art. 364 al. 3 CO) ; si une publication ne respecte pas les termes de l’accord, le prestataire a le droit de réduire la rémunération ou d’exiger une correction de la part de l’influenceuse (art. 368 al. 2 CO), à condition qu’il ait signalé le manquement aussitôt que possible (art. 367 al. 1 CO) ; ou encore, si le moment du paiement du prix n’a pas été fixé, le paiement est dû dès la publication (art. 372 al. 1 CO).
Difficile de dire si un tribunal sera amené prochainement à confirmer ou infirmer cette appréciation. En attendant, on se contentera de souligner l’incroyable souplesse de notre Code des obligations plus que centenaire, qui résiste très bien à l’épreuve du temps. Probablement mieux que ne le feront les réseaux sociaux.
Pour aller plus loin, voir Catalina Goanta/Isabelle Wildhaber, In the Business of Influence: Contractual Practices and Social Media Content Monetisation, Revue suisse de droit des affaires et du marché financier [RSDA] 2019 pp. 346-357.
Auteur(s) de cette contribution :
Assistant et doctorant à la Chaire de droit des contrats et de droit de la responsabilité civile de l'Université de Neuchâtel | Titulaire du brevet d'avocat | Recherches portant notamment sur les contrats du domaine numérique et leur place dans l'ordre juridique suisse