À l’ère du numérique, les médias sociaux (tels que notamment Instagram, Twitter, Facebook, YouTube et TikTok) revêtent une importance fondamentale en tant que canaux marketing et publicitaires. À titre exemplatif, les montants investis sur le plan mondial dans la publicité par les marques au sein des réseaux sociaux atteindront 200 milliards de dollars en 2024.
Il va sans dire que les enfants et les produits qui gravitent autour de ces derniers n’ont pas échappé à ces nouvelles tendances du marketing d’influence. On observe d’ailleurs, aux États-Unis notamment, l’émergence d’une vague d’enfants influenceurs dont les revenus de certains atteignent plusieurs millions de dollars par année. Si la majorité des plateformes précisent une limite d’âge minimale de 13 ans – correspondant à ce que prévoit le Children’s Online Privacy Protection Act de 1998 – des exceptions existent. C’est d’ailleurs dans ce contexte qu’est apparu le sharenting, à savoir la publication d’images d’enfants sur les médias sociaux par les parents.
Si l’exploitation de l’image d’enfants sur Internet et les réseaux sociaux soulève de nouvelles problématiques juridiques, l’activité d’influence est également susceptible de générer des risques psychologiques chez les jeunes enfants.
À cet égard, le droit suisse peut leur offrir une protection sous deux prismes, tout d’abord celui du droit civil (à travers les mécanismes ordinaires de la protection de la personnalité, et plus spécifiquement du droit à l’image), mais également potentiellement sous l’angle des dispositions du droit du travail (en particulier celles de droit public visant à protéger la santé des travailleurs). Cette dernière voie a d’ailleurs été empruntée par la législation française et, sans doute, prochainement par la législation britannique pour réglementer la problématique.
Au niveau du droit civil suisse, les limitations suivantes à l’exploitation de l’image des enfants par un parent existent :
Pour le mineur capable de discernement, son consentement éclairé doit être collecté en amont de toute publication le concernant, sous peine de constituer une atteinte à son droit à l’image. Dans l’environnement numérique, la capacité de discernement peut être donnée dès l’âge de 6 ans en cas de publication ponctuelle d’une photo à destination d’un public restreint. Celle-ci sera toutefois plutôt donnée aux alentours de 12 ans lorsque l’image de l’enfant est exploitée à plusieurs reprises avec une diffusion à large échelle, notamment à des fins lucratives. La capacité de discernement étant évolutive entre 4 et 14 ans, il s’agit toutefois d’un âge indicatif devant s’apprécier en fonction de l’enfant concerné et des circonstances du cas d’espèce.
Pour le mineur incapable de discernement, le parent peut le représenter valablement dans l’exercice de son droit à l’image, sauf atteinte particulièrement grave. Pour ce faire, nous avons identifié un certain nombre de critères à prendre en considération dans le cadre de publications afin de déterminer s’il s’agit d’une atteinte particulièrement grave ou non à la personnalité de l’enfant, étant précisé que les circonstances s’apprécient toujours dans le cas d’espèce :
- Fréquence : une publication ponctuelle consiste en une atteinte à la personnalité moindre que des publications récurrentes.
- Diffusion: une publication à grande échelle (en raison d’une large communauté ou encore de paramètres d’un compte public), augmente le risque d’atteinte à la personnalité.
- Mise en scène: une publication dans laquelle l’enfant est mis en scène de manière dégradante (nudité, positionnement, etc.) constitue non seulement une atteinte particulièrement grave à la personnalité de l’enfant mais est également susceptible de constituer une atteinte à l’honneur de ce dernier.
- Informations personnelles : une publication couplée d’informations concernant le développement de l’enfant (par exemple sa croissance, ses performances scolaires ou encore sa santé) constitue une atteinte au droit à la personnalité de l’enfant dont la gravité s’appréciera en fonction des informations divulguées.
Sur le plan du droit du droit du travail suisse, celui-ci prévoit un certain nombre de dispositions pour protéger la santé des travailleurs. Lorsque l’activité entreprise par l’enfant s’inscrit dans la durée et a lieu sur une base régulière, il n’est pas exclu que les dispositions de droit public du droit du travail s’appliquent. Néanmoins, il existe un certain nombre de limitations en lien avec l’application de ces dispositions, par exemple en raison de l’exception des entreprises familiales (figurant à l’art. 4 al. 3 LTr). À notre sens, il conviendrait d’introduire une disposition au sein de l’ordonnance OLT 5 afin d’étendre le champ d’application des dispositions applicables à la protection des jeunes travailleurs même en cas d’activités d’influence exercées au sein d’une entreprise familiale.
En tout état, n’oublions pas que le bien de l’enfant doit demeurer au cœur des préoccupations. En effet, comme le rappelle l’art. 32 § 1 de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, « les États parties reconnaissent le droit de l’enfant d’être protégé contre l’exploitation économique et de n’être astreint à aucun travail comportant des risques ou susceptible de compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique, mental, spirituel, moral ou social ».
Proposition de citation : Bruderer Hélène/Jordan Karine, Enfants et marketing d’influence : quid du droit suisse ?, Blog du LexTech Institute, 23.11.2022