L’utilisation d’un mot au profit d’un autre n’est plus seulement aujourd’hui l’apanage du rhéteur ou de l’écrivain, mais aussi celui du spécialiste en marketing. Dans ce bref article, nous parlerons de l’importance des mots et des promesses, parfois élucubrées, qui sont affichées au sein des projets utilisant la technologie blockchain.
La première partie traitera d’un cas suisse de publicité fallacieuse concernant une cryptomonnaie. Ensuite, nous discuterons de deux cas américains qui étendront cette problématique de la publicité mensongère sous d’autres latitudes avant de conclure par quelques idées clés.
« Weltweit einfach und unabhängig bezahlen » & « bekannt aus »
Dans un arrêt du 18 avril 2019 (6B_99/2019 & 6B_148/2019), le Tribunal fédéral a dû trancher le cas d’une publicité concernant une cryptomonnaie et son éventuelle contravention à l’art. 3 al. 1 let. b de la Loi sur la concurrence déloyale (LCD).
Le projet promettait comme fonctionnalité que le jeton vendu, qualifié à l’occasion de marchandise, permettait d’effectuer des paiements dans le monde entier (« weltweit einfach und unabhängig bezahlen »). Toutefois, le nombre de marchands qui acceptaient effectivement cette cryptomonnaie représentait en réalité un cercle très réduit de personnes.
En l’espèce, le Tribunal fédéral a nié le caractère trompeur de la formule. Il a également précisé la nature des cryptomonnaies, soit un moyen de paiement privé dont l’expectative moyenne d’un utilisateur ne devait pas nécessairement lui laisser présager de l’acceptation future et universelle de l’instrument auprès d’un quelconque marchand, par exemple lors de la prochaine réservation d’un hôtel par l’investisseur.
En outre, le porteur de projet annonçait que sa cryptomonnaie était connue d’un certain nombre de médias mentionnés sur son site (« bekannt aus »). Selon l’autre partie, cette assertion laissait présumer un support desdits médias alors que tel n’était pas le cas. Ici encore, le Tribunal fédéral a nié la contravention en considérant l’assertion, d’une façon un peu surprenante, comme neutre plutôt qu’illégitimement flatteuse pour le projet.
« Will be able to use atomic swaps » & « is now registered with the SEC! »
Dans un deuxième cas d’origine étasunienne (Blockchain Luxembourg S.A. v. Paymium, SAS, No. 18 CIV. 8612 (GBD), 2019 WL 4199902 (S.D.N.Y. Aug. 7, 2019), ch. 2 et 3), un projet affichait sur son site certaines fonctionnalités (« will be able to use atomic swaps ») jugées improbables par ses concurrents. De plus, il disait avoir obtenu les autorisations nécessaires de son régulateur financier (« it [is] pleased to announce [its] filing has been accepted and [it is] now registered with the SEC! ») alors que seul un formulaire de notification – « Form D » – avait été rempli (concernant le formulaire D, voir https://www.sec.gov/smallbusiness/exemptofferings/formd).
En premier lieu, le juge américain a estimé que la promesse d’implémenter une fonctionnalité (atomic swap) en insistant sur le caractère futur incertain ne relevait pas de la publicité mensongère. Néanmoins, concernant l’enregistrement auprès de la SEC, le juge a tranché que cette publicité était trompeuse car elle suscitait une certaine confiance du fait de la régulation du projet, ce qui ne découlait en réalité pas du seul remplissage du « Form D ».
« Blockchain technology »
Le troisième cas vise la question de la réelle utilisation de la technologie blockchain au sein des opérations d’une société qui en fait sa promotion. Dans le cas d’espèce (Rudani v. Ideanomics, Inc., No. 19 CIV. 6741 (GBD), 2020 WL 5770356 (S.D.N.Y. Sept. 25, 2020)), une société active dans le commerce de pétrole prétendait avoir intégré la blockchain au sein de son fonctionnement, vraisemblablement afin de bénéficier d’une hausse du prix de son action. En réalité, l’intégration de cette technologie était au mieux marginale et le juge a donc conclu à une représentation fallacieuse.
Pour conclure…
Nous terminerons cette brève présentation par les mises en exergue suivantes :
- Ces arrêts nous exposent l’importance de la LCD au côté d’autres législations plus usitées, comme le prospectus LSFin lors de l’émission.
- Quand bien même le mot « blockchain » n’est défini consensuellement nulle part, il est propre à créer des apparences et à faire naître des attentes chez l’individu moyen. Dans ce sens, on rappellera que le législateur suisse a renoncé à définir la blockchain (art. 973d al. 2 CO) et que le législateur européen a souhaité régler extensivement la publicité des projets blockchain dans la proposition de directive MiCA.
- La lecture du deuxième casus fait ressortir que l’annonce de la régulation d’un projet blockchain constitue une valeur de confiance.
Pour conclure on définira le mot blockchain comme un oxymore. Si l’utiliser pour décrire un projet ne dit pas rien de son contenu, il n’en dit certainement pas tout.
Auteur(s) de cette contribution :
Gabriel Jaccard
Gabriel Jaccard est doctorant en droit à l'Université de Genève. Il traite dans sa thèse des problématiques de droit privé, principalement contractuelles, liées à la thématique des smart contract en droit suisse.