A priori, le terme « contrat » se comprend sans grande difficulté. Toutefois, sa résonance diffère d’un domaine d’activité à l’autre. Dans le cadre de la blockchain, on l’a associé au terme smart (intelligent) pour décrire un programme informatique qui a la capacité de s’exécuter automatiquement. Ainsi, le terme smart contract désigne l’une des applications les plus prometteuses de la technologie blockchain car ceux-ci permettent notamment le transfert de cryptomonnaies à des conditions définies à l’avance. Au regard de la notion de contrat au sens juridique, comment devons-nous appréhender ce contrat dit intelligent ?
En droit suisse, un contrat s’apparente principalement soit à un acte juridique bilatéral (ou multilatéral), soit à la relation juridique qui en résulte. Selon l’usage, il renvoie également aux documents contractuels dans lesquels la volonté des parties est contenue (Christoph Müller, Contrats de droit suisse, Berne 2012, N 2 ss). Compris comme un acte juridique, un contrat constitue plus précisément un échange de manifestations de volonté concordantes qui produit l’effet juridique voulu se rapportant à l’accord (CO 1 I). La relation juridique qui en résulte se compose quant à elle des droits et obligations des parties. En ce qui concerne le texte du contrat (document contractuel), rappelons enfin qu’il ne s’agit pas d’une condition nécessaire à la validité de l’accord, à moins que la loi ne l’exige (CO 11) ou que les parties n’en conviennent (CO 16) (Pierre Tercier/Laurent Bieri/Blaise Carron, Les contrats spéciaux, 5e éd., Genève/Zurich/Bâle 2016, N 8 ss).
Pour reprendre la définition de Nick Szabo, les smart contracts constituent un protocole de transaction informatisé permettant l’exécution d’un contrat (Nick Szabo, Smart Contracts, 1994, p. 1). Suivant cette conception, ils forment avant tout un mode d’exécution de prestations contractuelles. En d’autres termes, ils servent de support afin de faciliter et/ou d’automatiser l’exécution d’un contrat conclu de façon « traditionnelle ». En tant que tels, ils ne forment donc pas un contrat au sens juridique du terme (Christoph Müller, Les “Smart Contracts” en droit suisse, in : Blaise Carron/Christoph Müller [édit.], 3e Journée des droits de la consommation et de la distribution : Blockchain et smart contracts, défis juridiques, Bâle 2018, N 4 ss).
Les smart contracts peuvent toutefois conduire à la conclusion d’un contrat s’ils réunissent quatre éléments nécessaires : (1) deux ou plusieurs parties, (2) deux ou plusieurs manifestations de volonté, (3) l’échange de manifestations de volonté, et (4) la concordance des volontés exprimées. Dans cette hypothèse, la volonté des parties, qui est préalablement programmée dans le code informatique des smart contracts, est manifestée et échangée par un transfert d’information sur la blockchain. La conclusion du contrat au sens juridique intervient alors en cas de concordance des volontés, à savoir lors de la rencontre d’une offre et d’une acceptation (Blaise Carron/Valentin Botteron, How smart can a contract be?, in : Daniel Kraus/Thierry Obrist/Olivier Hari [édit.], Blockchains, Smart Contracts, Decentralised Autonomous Organisation and the Law, Cheltenham 2019, p. 115 ss).
Afin qu’un contrat puisse être exécuté par des smart contracts et se matérialiser dans la blockchain, son texte doit être transposé en code informatique. Il subit ainsi une forme de standardisation laissant peu de place aux termes génériques et aux notions juridiques indéterminées. De plus, à moins qu’il s’agisse d’une blockchain privée, il se révèle accessible à tous vu la nature publique que revêt en principe la blockchain. Toutefois, les smart contracts ne bouleversent pas fondamentalement la relation juridique naissante des parties. Ils se négocient comme un contrat conclu de façon « traditionnelle » lequel s’accompagne de surcroît couramment de clauses standardisées. Pareillement en cas de litige, les parties peuvent soit renégocier leur accord, soit s’adresser à un tribunal afin de corriger les effets d’un smart contract (Primavera De Filippi/Aaron Wright, Blockchain and the Law : The Rule of The Code, Harvard 2018, p. 74 ss).
En conclusion, les smart contracts revisitent principalement le texte d’un contrat en lui offrant de nouveaux attributs. S’ils ne rejoignent pas pleinement la notion de contrat au sens juridique du terme, ils en simplifient l’exécution et en permettent parfois la conclusion. Quant à la véritable intelligence des smart contracts, nous laissons les informaticiens en juger.
Auteur(s) de cette contribution :
Doctorant à la Faculté de droit de l'Université de Neuchâtel, intéressé par les nouvelles formes de commerce et, en particulier, la formation électronique de contrat.