Cette année, les étudiants de Master en droit à l’Université de Neuchâtel ont participé à un séminaire thématique unique au monde : « Créer sa DAO ». Organisé par la Prof. Florence Guillaume et son assistant Sven Riva, ce séminaire a permis aux étudiants en droit de se familiariser avec différents modèles de gouvernance de DAO et de s’interroger sur la portée juridique de ces nouvelles entités aux perspectives prometteuses. Mais avant de pouvoir répondre à ces questions inédites, les étudiants ont dû relever un défi de taille : saisir le concept de DAO.

Les Decentralized Autonomous Organizations (DAOs) ont émergé de l’environnement blockchain en s’appuyant sur l’architecture des smart contracts. Ces véhicules numériques permettent à leurs membres de gérer les ressources de l’organisation de manière décentralisée grâce à des règles de gouvernance prédéfinies inscrites dans une série de smart contracts déployés sur une blockchain.

Il n’est actuellement pas possible de constituer une DAO en droit suisse. De plus, la grande majorité des DAOs sont créées en dehors de la juridiction de tout Etat, par exemple via la plateforme Aragon. Or, ce type d’entité entre de plus en plus souvent en contact avec l’ordre juridique suisse. La question se pose de savoir s’il est possible d’accorder une personnalité juridique aux DAOs lorsqu’elles ont des activités sur le territoire suisse. La réponse dépend de la reconnaissance des DAOs dans l’ordre juridique suisse (à ce sujet, voir Riva Sven, Les DAOs existent-elles en Suisse ?, blog post du LexTech Institute du 22.10.2020). En effet, seule une DAO qui existe en Suisse peut y conclure personnellement des actes ayant une portée juridique. L’enjeu de la reconnaissance des DAOs est particulièrement important, non seulement pour leurs membres, mais également pour les tiers qui entrent en relation juridique avec celles-ci.

Ce cours bloc de trois semaines a plongé les étudiants en droit au cœur de la technologie blockchain. L’objectif était de développer les connaissances pratiques nécessaires à la création d’une DAO et d’acquérir une méthode d’analyse d’une situation juridique disruptive s’inscrivant dans un contexte national et international. Les étudiants ont découvert un nouveau véhicule numérique qui présente, à certains égards, des ressemblances avec les véhicules juridiques connus en droit suisse.

Après une introduction à la notion de DAO et une présentation des enjeux juridiques liés à cette nouvelle forme sociale par Sven Riva, les étudiants ont été accompagnés par des spécialistes dans le développement et la constitution d’une DAO. Ils ont tout d’abord eu l’opportunité de découvrir les aspects techniques des smart contracts grâce à l’intervention de Fabio Bonfiglio, fondateur de NEDAO, une DAO qui permettra aux citoyens neuchâtelois de créer leur identité décentralisée, d’une part, et de proposer, lancer et gérer des projets participatifs, d’autre part. Puis, les étudiants ont pu s’initier aux méandres de la gouvernance des DAOs grâce notamment à un historique du projet The DAO et son hacking, en compagnie d’Alexis Roussel, co-fondateur de la plateforme Bity et membre de la Fondation pour les entités décentralisées (Decentralized Entities Foundation). Enfin, Ori Shimony a présenté dOrg LLC, la première Blockchain-Based Limited Liability Company de l’État du Vermont, aux États-Unis, et qui possède de ce fait la personnalité juridique selon la loi de cet État. Cette intervention a permis aux étudiants de se familiariser avec l’environnement des DAOs en évoquant notamment les problèmes juridiques rencontrés par les créateurs de dOrg et les bénéfices apportés par l’attribution de la personnalité juridique à la DAO.

Dans une deuxième phase du cours, les étudiants ont travaillé par groupes pour constituer leur propre DAO, définissant ainsi le but et les mécanismes de gouvernance qu’ils souhaitaient mettre en œuvre. Après une semaine de réflexions – et pour certains sans aucune connaissance préalable de la blockchain – les étudiants ont présenté le white paper de leur DAO. Avec l’aide précieuse de Fabio Bonfiglio, les DAOs ont ensuite été créées sur la plateforme Aragon, ce qui a permis aux étudiants de se confronter aux aspects techniques de la blockchain et d’acquérir (pour certains) leurs premiers ethers.

Deux projets de DAOs sont ressortis de cet exercice. La première DAO, SwissGreenDrive, a pour but de promouvoir la conduite écologique de ses membres et de financer des projets écologiques sous la forme de financements participatifs. La seconde DAO, Étudao, est une permanence juridique décentralisée offrant des conseils juridiques à moindres coûts.

La gouvernance de chacune de ces entités a soulevé des questions juridiques complexes qui ont été abordées dans une troisième phase du cours. Les étudiants ont dû appréhender des problématiques juridiques nouvelles en proposant des solutions novatrices. Les questions incisives de la Prof. Florence Guillaume et son assistant Sven Riva les ont encouragés à sortir de leur mode de réflexion traditionnel pour essayer de trouver des solutions juridiques aux problèmes pratiques soulevés par la mise en œuvre de leurs DAOs. Les difficultés avaient notamment trait à la personnalité juridique d’une DAO, son mode de gouvernance, l’identité de ses membres et l’étendue de leur responsabilité, ou encore les problèmes de confidentialité.

Un grand merci à Fabio Bonfiglio, Alexis Roussel et Ori Shimony pour leur précieuse collaboration !

Auteur(s) de cette contribution :

leonel.constantino@unine.ch | Page Web | Autres publications

Assistant-doctorant en droit international privé et droit des successions à l'Université de Neuchâtel, intéressé par les enjeux juridiques liés à numérisation (blockchain, intelligence artificielle, résolution des litiges en ligne, digitalisation de la justice étatique).